A l’image de son père, véritable initiateur du polo en France et au-delà même de la tradition familiale, le baron Elie de Rothschild (1917-2007) a sans conteste marqué d’une empreinte indélébile le polo français ; non seulement comme capitaine d’équipe ayant rassemblé autour de lui les meilleurs maillets des deux Amériques, mais aussi en tant que président du Polo de Paris et du Polo de Deauville qui jouissent d’un prestige que seul, il leur a procuré.*
BARON ELIE DE ROTHSCHILD* :
« A mon âge, je suis un des survivants d’une époque révolue ; celle de l'avant 1939. J’ai vu jouer au Polo de Laversine, chez mon père, Robert de Rothschild, le roi Alphonse XIII, qui jouait admirablement bien, des princes indiens, des Anglais, des Américains, des Argentins et surtout nos mousquetaires, Hubert de Montbrison, Henri Couturié, Jules Macaire (le grand-père de Lionel et de Stéphane) et Teddy Rasson.
A l’époque déjà, les officiers de l’armée anglaise, les civils anglais ou argentins venaient, invités avec leurs chevaux, et repartaient sans eux, mais avec autre chose. Les différends entre capitaines étaient aussi fréquents : « Plus cela change et plus c’est la même chose ». J’ai même vu, en 37 ou 38, c’est si loin, un capitaine, le jour de la Coupe du Président de la République, en présence de celui-ci, refuser de rentrer sur le terrain, et mon père user de toute sa diplomatie pour éviter le scandale.
Par dérogation spéciale, à l’âge de 19 ans, on m’a laissé jouer à Bagatelle avec le prince Alec Midvani qui était, toute proportion gardée, le Rubirosa de son temps, je le dis, car ils ont tous deux eu le même premier garçon a des années d’intervalle, le fameux Pierre, dont beaucoup, je suis sûr, se souviennent encore, avec son merveilleux accent du Sud-Ouest.
Je suis entré dans la carrière quand mes aînés n’y étaient plus. Mon père était mort quand Henri Couturié et Jacques Lévêque, contre vents et marées, ont fait revivre Bagatelle et m’ont demandé de prendre la place de mon père comme trésorier. Il y a quarante ans de cela et c’est de ce jour que je me suis marié avec le polo jusqu’en 1981.
J’y ai gravi à l’ancienneté tous les échelons, trésorier, vice-président, président du bureau, président du club, président de l’Union. Je dois à la vérité de dire que pendant des années le seul club était Paris. Deauville et Vittel n’étaient pas des clubs à proprement parler. C’est avec le développement de l’école de Bagatelle et grâce à Jacques Macaire et au succès immédiat du paddock polo qui a, ô combien, contribué à démythifier ce sport, que j’ai été amené à prendre la présidence de l’Union afin d’éviter une scission entre les deux disciplines sœurs. C’eût été trop bête dans un monde si petit. C’est probablement une des seules choses vraiment utiles que j’ai faites pendant ma présidence.
Comme président de Bagatelle et de Deauville j'ai toujours été entouré d’une équipe d'amis merveilleux que je ne nommerai pas, de peur d'en oublier et donc de me faire un ennemi de plus. C'est grâce à eux que nous avons pu rénover entièrement Paris en 1968, inchangé depuis 1880 sauf pour les écuries construites par Mairesse-Lebrun. Il n'y avait alors que 3 tennis et 550 membres, dont les ¾ étaient des « tasses de thé ». C'était le must d’y être vu après Longchamp, mais les potins étaient plus importants que le jeu.
S'il est vrai qu'avant-guerre, il y avait quelques joueurs de haut niveau, le professionnalisme n'existait pas comme tel. C'était avant tout des amateurs qui voulaient être aidés. Nombreuses étaient les équipes 100 % amateurs et rares celles qui avaient un pilier au sens actuel du terme.
Je pense que la situation actuelle n'est que l'accélération d'une évolution du monde d'aujourd'hui. Nous étions, peut-être, plus insouciants.
Ce n'était pas la guerre, nos « soutiens » ne se prenaient pas pour des sportifs de haut niveau et s'entrainaient plus au vieux Brummel et dans les lits du Royal que sur le practice. Mais c'était l'époque où ils venaient tous très jeunes et célibataires, pour la plus grande joie de « toutes ».
La sponsorisation, divine surprise, les prix payés aux vrais professionnels, la rage de vaincre, font que le sport y a gagné en qualité, que les excentricités n'ont plus droit de cité. Le polo est devenu un sport sérieux et public.
Dans ma carrière, de tous les joueurs, et je les ai presque tous connus, à Deauville, comme à Cowdray, le joueur qui m'a laissé le plus grand souvenir a été Juan Carlos Harriott. Je n'ai jamais rencontré une équitation, une anticipation, une frappe de balle, un tacticien comme lui. C'était le plus grand gentleman du monde sur un terrain, d'une sportivité, d'une humilité, et d'une gentillesse que je n'ai jamais rencontré poussées à cet extrême. Il fût à mon avis le plus grand « 10 » du monde.
Rubirosa, dans un tout autre registre, était le plus sympathique de tous. Gagner ou perdre lui indifférait. Il aimait avant tout ses amis, rire et créer une ambiance. Deauville n'a plus jamais été le même après sa mort.
Pour terminer, mon meilleur souvenir de joueur est, quand avec mes grands amis, Perico Domecq, Cano et Pato Gracida, avec lesquels j'ai joué pendant 1O ans, nous avons gagné, deux ans de suite, la Coupe d'Or de Cowdray. Là-bas, de mon temps, étrangers contre Anglais, on jouait à quatre contre sept, (2 arbitres de terrain et 1 arbitre de chaise), et ce fût un grand moment quand la reine Elisabeth m'a remis la grande Coupe d'Or. »
* Propos recueillis au début des années 1990. Textes extraits du livre de Jean-Luc A. Chartier, "Polo de France" , avec son aimable autorisation.
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