Même s’il a connu un essor spectaculaire ces dix dernières années, le polo féminin n’est absolument pas une nouveauté.
par Pascal Renauldon
et Axelle De Borger
Déjà, des estampes et des statues de terres cuites chinoises datant des dynasties Sui et Tang (VIIème et VIIIème siècles) montrent des joueuses de polo.
Plus près de nous, en 1912, des femmes du Meadow Brook Hunt Club de New York montant en amazone, organisent un tournoi de polo à West Bury. L’évènement est relaté dans le San Francisco Sunday de l’époque.
Dans les années 20, le polo universitaire accueille quelques femmes aux Etats-Unis. Et en Argentine, Luisa Miguens note dans son « Passion & Glory : A Century of Argentine Polo », l’organisation d’un premier match féminin joué en 1927 avec des équipes de femmes originaires d’une grande famille de Patagonie et indique l’existence, en 1938, du premier tournoi féminin à Tortugas.
Aux Etats-Unis, Sue Sally Hale est la véritable pionnière du polo. Elle commence la compétition dans les années 50. Pendant vingt ans, avec la complicité de ses équipiers, elle joue déguisée en homme pour pouvoir participer aux tournois.
Des années durant, les joueurs de polo américains se sont interrogés sur l'identité du jeune homme timide et moustachu qui évitait les caméras et n'assistait jamais aux soirées d'après-match. En 1972, elle réussit finalement à contraindre l’U.S Polo Association à l’autoriser à rejoindre ses rangs en tant que femme. La fille de Sue Sally Hale, Sunny Hale, meilleure joueuse américaine, décédée en 2017 à l’âge de 47 ans, a été déclarée « la joueuse de polo la plus célèbre du monde ».
Aujourd’hui 500 de 3 600 membres de l’U.S Polo Association sont des femmes.
Dans les années 70, les femmes et filles de grands joueurs pratiquent de plus en plus le sport de leurs maris et pères. Myriam Heguy, la sœur des grands Alberto et Horacio, était l’une d’entre elles. Comme son frère Eduardo, comme son neveu Gonzalo, elle est morte jeune dans un accident de voiture. Terrible destin que celui de cette grande famille qui a « produit » neuf handicaps 10.
En mémoire de Myriam se dispute depuis lors la Coupe Myriam Heguy près de Buenos Aires, le premier tournoi récurrent exclusivement féminin. Depuis 10 ans, le niveau de cette Coupe a spectaculairement évolué.
En France, la première joueuse officielle de polo, après la promulgation de la loi en 1974 autorisant les femmes à jouer, est Abeth Mussat, devenue par la suite éleveuse de pur-sang.
En tant que fille du vétérinaire équin Edouard Pouret, à l’époque président de la Fédération équestre française et membre du Polo de Paris, Abeth est « tombée dedans quand elle était toute petite ».
Élève du grand joueur professionnel Jacques Macaire, ses progrès sont fulgurants. Malheureusement, la loi française de l’époque interdisait aux femmes de pratiquer le polo officiellement. C’est en partie grâce à Edouard Pouret que la loi fut changée et que les femmes furent admises à jouer au polo aux côtés des hommes.
Bizarrement, le polo féminin moderne, à partir des années 90, commence d'abord par être professionnel avant de devenir amateur. Quelques femmes passionnées, fascinées par ce sport plutôt viril, se sont engagées avec ferveur dans cette vie pour se mêler aux hommes, dans des matchs mixtes où elles n’étaient pas particulièrement traitées avec déférence ou différence.
Ces dernières années, le polo féminin s’est considérablement développé : les joueuses amateurs se font de plus en plus nombreuses sur les canchas, jusqu’à les occuper entièrement.
Les pionnières professionnelles des années 90 étaient avant tout des femmes de cheval ; elles avaient fait du polo leur métier et y ont voué toute leur vie. La Britannique Claire Tomlinson est probablement la plus célèbre d’entre elles qui avait atteint l’incroyable handicap de 5. Un niveau exceptionnel pour une femme, jamais égalé depuis, lui permettant de louer son talent et de se faire engager à égalité avec les professionnels hommes, britanniques et argentins.
Aujourd’hui, Claire reste très proche de ses deux fils, Luke et Mark, handicaps 7 et piliers de l’équipe britannique, dont elle n’a bien sûr laissé le soin à personne d’autre d’assurer leur formation ! Sans oublier sa fille, Emma Tomlinson, digne successeuse de sa mère et qui a atteint le handicap 8 chez les femmes !
La Française Caroline Anier a approché ce niveau avec un handicap « mixte » de 4. Formée en même temps que son frère, Jérôme, dans une écurie de polo française, sa réputation avait atteint la Californie où elle était régulièrement engagée. Caroline assumait tout : non seulement elle jouait et entraînait ses chevaux, mais elle en assurait la formation, enfilait le tablier de cuir de maréchal-ferrant pour les "chausser" elle-même et se mettait au volant de son camion pour les transporter !
Autre pionnière, Neku Atawodi est originaire du nord du Nigeria. S’entraînant avec passion depuis l’âge de 14 ans, Neku Atawodi est rapidement devenue une joueuse professionnelle et a commencé une brillante carrière en tant que première joueuse de polo professionnelle noire au monde.
Tout au long de sa carrière, Neku Atawodi a joué dans 22 villes et pas moins de 14 pays, notamment en Argentine, aux Etats-Unis, en Inde. Elle a familiarisé le public africain avec le polo féminin en organisant le premier tournoi de polo professionnel entièrement féminin du continent.
A présent à la retraite du polo, Neku Atawodi contribue au développement de l'entrepreneuriat, de la technologie et des startups en Afrique et a été nommée l'une des « 30 moins de 30 ans » par Forbes Africa.
C'est un fait, le polo attire de plus en plus de femmes : aujourd’hui 70% des nouveaux joueurs se mettant chaque année au polo sont des cavalières. Depuis cinq ans, les tournois exclusivement féminins se multiplient à travers la planète, en Argentine, bien sûr, pendant la temporada (la grande saison d’octobre à décembre,) en Angleterre, en Allemagne, en Malaisie…
Le polo féminin s’organise et une nouvelle génération de joueuses professionnelles a vu le jour et loue ses services aux joueuses amateurs.
Parmi elles, l’Argentine Lia Salvo que les joueuses amateures s’arrachent car l’avoir dans son équipe est quasiment une « assurance-victoire » comme ce fut le cas en 2011 lors du tout premier Open de France dames.
Fille d’un éleveur et joueur de polo professionnel, Hector Salvo, un ancien handicap 6 qui avait gagné la Coupe d’Or de Deauville, Lia a déjà parcouru la planète grâce à son talent. Elle est devenue la joueuse la plus recherchée à travers le monde, et encore plus depuis qu’Adolfo Cambiaso l’a choisie il y a trois ans pour intégrer son équipe masculine dans le tournoi le « Jockey Club » qui ouvre traditionnellement la grande saison argentine.
Des handicaps spécifiquement féminins ont été institués par les Fédérations. Lia Salvo détient un 10 de handicap féminin, ce qui fait d’elle l’une des trois meilleures joueuses mondiales avec les Britanniques Nina Clarkin et Hazel Jackson.
Joueuses que l’on retrouve régulièrement en tête du palmarès de l’Open Féminin d’Argentine, créé en 2017. Les deux premières éditions (2017 et 2018) ont été remportées par l’équipe La Dolfina Brava (Mía Cambiaso, fille d’Adolfo Cambioso, Milagros Fernández Araujo, Nina Clarkin et Candelaria Fernández Araujo) et les deux dernières éditions (2019 et 2020) par l’équipe L'Overo Z7 UAE (Clara Cassino, Millie Hine, Hazel Jackson-Gaona et Lía Salvo).
80% des cavaliers sont des cavalières, 80% des joueurs de polo sont des hommes. Mais cette distorsion à tendance à s’estomper rapidement : la femme est bien l’avenir du polo !
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