2/3 - FAUT-IL AVOIR PEUR DU CLONAGE ?
Adolfo Cambiaso a remporté son 13ème Open d’Argentine avec six clones de sa championne Cuartetera. Il est l’un des premiers joueurs à monter des clones, mais le phénomène pourrait bien s’intensifier. Le clonage soulève moultes questions. En voici quelques-unes.
Texte & photos Pascal Renauldon
Le laboratoire argentin Kheiron, qui produit ces clones à la chaîne, semble vouloir augmenter la cadence. Que se passe-t-il vraiment en Argentine ? Est-ce que ce phénomène pourrait atteindre d’autres sports comme le populaire saut d’obstacles chez nous en Europe ? Y a-t-il une autorité qui est capable aujourd’hui d’imposer une éthique ?
Nous avons essayé d’en savoir plus en rencontrant le patron du laboratoire Kheiron, Martin Barrantes, d’une famille emblématique de l’élevage du cheval de polo en Argentine, ainsi que le scientifique français Éric Palmer, qui, de son laboratoire Cryozootec, avait produit les premiers clones en France : le cheval d’endurance Pieraz en 2005, puis l’année suivante des clones des hongres champions de saut d’obstacles E.T FRH (Hugo Simon) et Calvaro V (Willi Melliger).
Le but n’était pas alors, au contraire de ce qui se passe dans le polo argentin, de ramener ces cracks sur la piste, mais d’en récupérer la génétique. Ces clones naissant entiers, ils ont ainsi pu faire ce que leurs originaux ne pouvaient pas : se reproduire.
Le plus gros client de Cryozootec était Léon Melchior, ce génie belge de l’élevage disparu en 2015, pour lequel les deux laboratoires avaient « copié » la grande Ratina Z, l’étalon Chellano Z disparu prématurément, Levisto Z ou encore Air Jordan Z.
Mais, comme pour E.T et Calvaro, le but n’est pas d’essayer de leur faire refaire ce que leurs originaux avaient réalisé sur les pistes de compétition souligne Judy-Ann Melchior, qui a repris avec bonheur le Stud-book Zangersheide créé par son père. « Il a été l’un des premiers éleveurs à faire appel au clonage pour conserver la génétique de nos meilleurs chevaux. Je suis évidemment impressionnée par les résultats des clones dans le polo argentin. Mais nous, notre priorité n’est pas de les sortir en compétition mais de sauver les gènes de chevaux comme Ratina ou Chellano. Et nous continuerons dans ce sens ». Mais pas avec Cryozootec qui a fermé ses portes, pour cause de retraite de son créateur : « je n’ai pas trouvé de repreneur ».
La laboratoire argentin Kheiron a démarré ses activités en 2011 et a produit le premier clone d’Amérique du Sud (Silvina Luna, jument de l’ex-h10 Sebastian Merlos). Il a depuis fait naitre, en 5 ans, plus de 50 clones.
En écoutant Éric Palmer entre les lignes, on comprend que celui-ci est un peu stupéfié par la tournure que prennent les choses en Argentine : « Pour moi, la compétition n’était pas l’objectif principal du clonage et si les Argentins ont réussi à sortir des performers avec le clonage… tant mieux, lâche le scientifique français. En saut d’obstacles, je ne sais pas si cela serait possible. Je n’avais jamais imaginé que le but du clonage serait de répéter la performance du champion. Il faudrait alors reproduire tout l’environnement intentionnel ou non où le champion a grandi. Les chances de répéter exactement ces facteurs sont alors relativement faibles. Il n’y a pas de performance ayant une héritabilité (part que l’on attribue aux gènes dans la performance) supérieure à 35-40%. Et donc, pour reproduire la performance sportive, il reste les deux tiers du problème à résoudre et c’est une partie qui n’est pas contrôlable ».
« Je ne peux me prononcer sur ce pourcentage, réplique Martin Barrantes. Ce qui est sûr, c’est que le potentiel génétique est là. En faisant naître un clone, vous avez une certitude que vous n’aurez jamais avec l’élevage traditionnel. Mais c’est clair que la génétique n’est qu’une partie du cheval et bien sûr, après viennent l’alimentation, l’éducation, l’entraînement, l’environnement humain, le joueur… Cuartetera ne sera jamais la même avec un autre cavalier que Cambiaso. Et je pense qu’il pourrait en être de même dans d’autres disciplines comme le saut d’obstacles ».
Cuartetera clones 4, 5 et 6
Mais avec un clone dont le prix a chuté à 80.000 € (de 250.000 € au début du clonage), une technique bien maîtrisée et un environnement (les fameux deux-tiers) plus facile à reproduire dans une même écurie de polo comme La Dolfina, l’aventure devient plus tentante avec ce risque d’industrialisation de la production : alors que Cryozootec avait produit 30 clones en une dizaine d’années, Kheiron est pratiquement passé à ce chiffre par année, et s’est fixé un objectif de production de 60 clones par an.
« C’est vrai que l’Argentine dispose d’un environnement propice au clonage. Si, par exemple, trois produits sur quatre naissent en bonne santé il faut quand même faire beaucoup de tentatives car il y a des pertes au stade embryonnaire, en labo et pendant la gestation. Pour produire un clone, il faut une dizaine d’embryons, et donc une bonne centaine d’ovocytes et c’est plus facile d’en trouver en Argentine où la boucherie chevaline est plus développée, » explique le scientifique français.
« La technologie s’est rapidement améliorée, assure pour sa part Martin Barrantes. Aujourd’hui, la machine fonctionne parfaitement, nous produisons des animaux très solides. Pratiquement toutes les gestations arrivent à leurs termes. Actuellement, nous sommes capables de produire une soixantaine de clones par an. Avec une bonne qualité d’ADN et une meilleure maitrise du processus, nous avons par exemple réussi à livrer huit clones de la jument Virolita à Agustin Merlos alors que le protocole est prévu pour deux naissances. Une bonne affaire pour lui puisque nous ne facturons que les deux premiers clones, les autres étant du bonus. Aujourd’hui, plus aucun poulain ne naît avec une quelconque faiblesse et contrairement aux idées reçues, les clones ne naissent pas ‘vieux’, ils ne naissent pas avec l’âge de l’ADN original » !
Ce que confirme Éric Palmer : « C’est une vieille idée lancée par les journalistes à l’époque de la brebis Dolly. Cela rassurait peut-être, mais c’est faux, un clone n’est à la naissance ni plus malingre, ni plus vieux qu’un produit issu de l’élevage traditionnel ».
En revanche, les Argentins ont noté une certaine précocité de ces clones : « Ils apprennent plus vite, ils sont plus faciles à débourrer, on a l’impression qu’ils ont déjà une certaine expérience. Les Cuartetera avaient 5 ans quand elles ont gagné contre des chevaux de 10 ans, » souligne Martin Barrantes.
Comments