3/3 : VERS UNE INDUSTRIALISATION MAITRISABLE ?
Détournement d’ADN, bioéthique, appauvrissement des souches. Le clonage est passé à un stade quasi industriel. Avec un chiffre croissant de 60 clones par an les dérives et autres conséquences néfastes sont-elles maîtrisables ?
Texte & photos Pascal Renauldon
« Pour ce qui est de l’éventuelle copie pirate d’ADN, les produits devront de toute façon avoir des papiers… explique le scientifique français Éric Palmer, mais c’est vrai que certains stud-books peuvent être plus laxistes et que la FEI délivre des passeports à des chevaux sans origine. Quant à la disparition de la diversité génétique, cela peut devenir un problème effectivement. Pour moi, le clonage n’a jamais été de répéter les mêmes chevaux pendant 30 ans car dans 30 ans, ils seront dépassés. L’élevage reste l’évolution au fil des générations … et oui, pour en revenir au début de notre conversation*, voir un joueur gagner l’Open d’Argentine avec six clones de la même jument c’est quelque chose qui me choque. Cela n’a jamais été l’objectif du clonage ».
Et pourtant, cette évolution semble immuable : « En Argentine, c’est entré dans les meurs, répond Martin Barrantes. Aujourd’hui, les enfants qui jouent au polo parlent déjà de faire cloner leurs meilleurs poneys. Ils grandissent avec cela comme avec les autres nouvelles technologies. Nous sommes conscients des problèmes d’éthique et de dérives. Nous avons un groupe qui œuvre à une charte pour encadrer les problèmes comme notamment celui du droit de propriété des croisements originaux soulevé par Gonzalo Pieres … En oubliant de dire qu’il a été le premier en Argentine à essayer de cloner ses meilleures juments comme Chusma ».
Et pratiquement tous les grands joueurs et éleveurs du polo argentin ont désormais cloné, à commencer par Mariano Aguerre, le gendre de Gonzalo Pieres (!), les Novillo Astrada, les McDonough, les Heguy (5 des 7 cousins), Juan Martin Nero etc. ! Tous ces produits sont enregistrés en bonne et due forme dans le stud-book du polo argentin (AACCP).
Ruso Heguy a par exemple choisi de cloner sa Vasca Farsante : « Elle était bonne, mais elle était surtout issue d’une très bonne lignée. Son père, Polo Sol Pura a produit beaucoup de cracks que j’ai joués dans l’Open, dont Basca Harods, meilleure jument de la finale 2016 avec Juan Martin Nero. Et sa mère, V 8, était un pur-sang américain dont je voulais garder la souche car elle aussi avait produit deux ou trois grands champions ». La conservation génétique semble donc être ce qui motive le quadruple champion d’Argentine : « Mais je ne dis pas que si j’avais 15 ans de moins, je n’envisagerais pas de la jouer » !
Au-delà de l’éthique un autre problème soulevé par le clonage est le coup de frein qu’il pourrait donner à l’évolution et la diversification de la génétique, bref à l’amélioration de la race. Martin Barrantes soutient le contraire.
« Cela accélère l’amélioration de la génétique, mais de manière différente. Je m’explique. Prenons Cuartetera qui est et qui a une souche basse exceptionnelle, avec sa seconde mère Cumbia qui est née dans ma famille : avec le transfert d’embryon, on peut espérer trois ou quatre produits par an. Maintenant, on peut en produire de 25 à 30 et de là, cela améliorera considérablement les souches et il y aura de plus en plus de bons chevaux sur les terrains. Avec le clonage, on a la quasi-certitude d’avoir de bons chevaux et plus rapidement. Ceci, d’un point de vue des lignées maternelles. Côté étalons, cela permet de récupérer la génétique de hongres comme Toro, le cheval de Lolo Castagnola, meilleur hongre de polo argentin de tous les temps. De plus, le clonage est intemporel. On peut du coup reproduire des animaux d’époques différentes. On peut sauvegarder une génétique, c’est le cas de Chellano Z dans le saut d’obstacles, mort prématurément, et préserver ainsi ces gènes, cela œuvre à l’amélioration. Cambiaso vient de faire cloner Storm Cat, le crack galopeur américain, dont la mère est par Secretariat, pour introduire la souche dans le polo. Voilà un exemple extraordinaire de diversification génétique grâce au clonage. Et puis un éleveur qui sera sûr de produire un bon cheval pour 85.000 $ perdra finalement moins d’argent et pourra consacrer du budget à la recherche de nouvelles souches justement. C’est ce que fait Cambiaso, toujours sur la route, à la recherche de nouveaux chevaux malgré ses clones ».
Eduardo Heguy partage à peu près le même avis avec une petite nuance : « D’abord, je ne crois pas que le clonage va marcher avec tous les chevaux. Pour l’instant, ça ne fonctionne qu’avec Cuartetera et dans le futur, ce sera la même chose : il y aura beaucoup de clones avec qui ça ne marchera pas et c’est pour ça que je ne crois pas que le clonage finira par avoir raison de la diversité génétique. Oui, sur le papier, le clonage peut apparaître comme un risque pour la diversité, mais je ne pense pas que cela arrive réellement. Mon cheval, meilleur produit AACCP de la finale, Harrods, n’est pas un clone et j’en suis fier. C’est une récompense pour moi, mais aussi pour tous les gens qui travaillent à la ferme ».
Bref, si le clonage semble faire une percée inattendue, la marge reste encore très grande avant que la production du cheval de sport « en usine » ne prenne le pas sur la production « dans les champs ». Comme Ruso Heguy ou Judy Ann Melchior, les éleveurs restent pour l’instant des éleveurs dans l’âme. Pour l’instant…
*Clonage & Elevage 2/3
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