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Tout savoir sur le polo

1880-1930, chroniques de l'âge d'or (I)

En France le premier match se joue à Dieppe : une équipe française, emmenée par le duc de Guiche, rencontre une formation britannique. Nous sommes en 1880. L’épopée du polo français vient de commencer.

Texte de Jean-Luc Chartier

Extrait de "Polo de France"

et "Cent ans de polo en France"

Polo de Bagatelle en 1890 par M. Luque
Polo de Bagatelle en 1890 par M. Luque (extrait)

L’implantation véritable du polo, l’organisation de tournois, la mise en place des premières structures, nécessiteront plus d'une décennie. A Paris, les premiers matchs auront lieu en 1891, d'abord brièvement, au Jardin d'Acclimatation, puis sur une pelouse située entre le lac et l'avenue des Acacias.


A cette même époque, on observe quelques premières tentatives d'implantation de polos en province, notamment à Lille et à Pau, tandis que de riches mécènes, tels le baron Edouard de Rothschild ou Luis de Escandon, convient leurs amis à jouer dans leurs propriétés, sur des terrains qu'ils y ont fait aménager.


C'est à Bagatelle, à la lisière du Bois de Boulogne, non loin du Tir aux Pigeons, que les premières véritables installations du Polo de Paris allaient s'établir. Le site, à deux pas du cœur de Paris et en bordure de la Seine, avait déjà, à plusieurs reprises, séduit quelques gentilhommes en quête de lieux enchanteurs. En 1720, le maréchal d'Estrées y avait fait élever une somptueuse maison, appelée par dérision ''babiole'' ou ''Bagatelle'' En 1777, le comte d'Artois y fit construire - en soixante-quatre jours, à la suite d'un pari avec la reine Marie-Antoinette - une ''folie'' au milieu d'un parc à l'anglaise. Autre amoureux de ce bois enchanteur, Sir Richard Wallace, philanthrope et mécène, y fit élever un trianon en 1872.


Vue du Cercle, un team de joueurs, fin XIXème

Le vicomte de la Rochefoucauld et le duc de Doudeville sont à l'origine de l'implantation du Polo à Bagatelle. Rapidement, un grand nombre de ''poloistes'' enthousiastes se joignent à eux : le duc Decazes, le prince de Poix, le duc de Luynes, le marquis de Podenas, le comte Jean de Madre, Maurice de Escandon, Luis de Errazu, Maurice Ephrussi, René et Maurice Raoul-Duval... Si l'on joue déjà sur les vastes pelouses de Bagatelle, c'est de façon spontanée, non encore organisée, et l'on est bien loin des installations comparables à celles que l'on pouvait admirer en Angleterre, notamment à Hurlingham et à Rugby.


En avril 1892, un groupe d'une vingtaine d'amateurs se réunit pour fonder le Cercle du Polo. Aux confins de la plaine de Bagatelle, ils obtiennent de la ville de Paris la location d'un terrain qui avait jusqu'alors servi aux officiers de la garnison de Paris, pour l'entraînement au saut d'obstacles et au concours hippique. Le 1er août 1892, le premier bail est signé. Sur ce vaste domaine, on aménagea un terrain de polo et l'on construisit d'élégants bâtiments de style normand, à partir d'un modèle conçu par le comte de Urribaren.


Les adhésions commencèrent à affluer, notamment des grands cercles parisiens, tel le Jockey Club. Le Cercle est alors administré par un Comité de vingt et un membres qui doivent être choisis parmi les fondateurs, renouvelés chaque année en Assemblée Générale. Sous la présidence du comte de la Rochefoucauld, le Comité se compose alors de personnalités comme le prince de Poix, le comte Shrewsbury, le baron Edouard de Rothschild, le duc Decazes, le comte de Madre ou le duc de Luynes.


Bagatelle à l'époque de sa création,par Tristan Lacroix (Extrait)

Dès sa création, le Cercle du Polo est constitué de façon aristocratique. Quiconque désire en faire partie doit être présenté au Comité par deux membres fondateurs ou permanents. L'admission d'un candidat n'est reconnue valide que s'il y a eu au moins six voix exprimées. Le vote se fait au moyen de boules noires et blanches : une seule boule noire sur six suffit pour ajourner le postulant. Quant aux joueurs de polo extérieurs au Cercle, ils peuvent venir jouer à Bagatelle, sous réserve d'avoir obtenu une carte d'invitation, carte dont la durée est limitée à quinze jours, et ce une seule fois dans l'année. Des cartes payantes peuvent aussi être délivrées, à la demande d'un membre et sous son entière responsabilité.


En ce qui concerne les élégantes, on s'accorde à convenir que leur présence au bord du terrain est indispensable, qu'elle apporte une impression de charme et de gaîté que ne peut rendre une assemblée d'hommes seuls. Cependant, ici encore, le règlement est strict, et l'on s'applique à éviter les intrusions ''suspectes''. Il a été ainsi statué que les cartes d'entrée seraient accordées uniquement ''aux mères, femmes, soeurs et filles non mariées de Messieurs les poloistes''.


Un déjeuner à Bagatelle en 1909

La presse mondaine de l'époque décrit le nouveau Cercle avec enthousiasme : ''Le territoire du Polo, peut-on alors lire dans le Figaro, est l'un des mieux situés qu'il y ait dans le bois de Boulogne. En suivant, vers Suresnes, l'allée « du bord de l'eau'' le promeneur arrive, un peu au-delà du champ d'entraînement de Bagatelle, à une vaste prairie bordée de haies, au fond de laquelle s'espacent, dans un exquis décor de verdure, les pavillons du Cercle. Les toits en fraîches tuiles, les façades en pitchpin verni s'encadrant dans de délicates charpenteries de sapin blanc qui en rehaussent la coloration vive, la fantaisie rustique d'une architecture qui a su éviter la banalité des « symétries '' inutiles ; ça et là , les rideaux à larges carreaux « sang de bœuf « s’accrochant aux fenêtres basses, et tout autour des constructions, les plates-bandes de bégonias, dont les délicieuses fleurettes rouges s'avivent au contact du vert très pâle des pyrèthres; tout cela évoque le plus joli coin de campagne anglaise qu'on puisse rêver. Au milieu de la piste verte, l'œil n'est choqué par aucun horizon gênant. Tout en haut, vers Suresnes, la tache blanche des casernes du Mont-valérien s'estompant dans un lointain de forêts ; et puis, sur la gauche, par l'étroite trouée de la route des Moulins, la flèche de l'église de Saint-Cloud, surgissant dans l'azur pâle, au-delà des étendues coupées de massifs verts de l'hippodrome de Longchamp. Et partout ailleurs, des arbres... Une clôture de végétation jeune et riche enveloppant et isolant en plein bois ce joli domaine. Le pavillon principal est un rez-de-chaussée surélevé, qu'un tapis de gravier sépare de la grande piste. Tout y est disposé à souhait pour le plaisir des yeux.


Le premier pavillon du polo de Bagatelle, à la fin du XIXème siècle
Le premier pavillon du polo de Bagatelle, à la fin du XIXème siècle

Aux murs de la salle à manger, du salon « des dames'' et du bureau du Comité, l'illustration hippique étale ses spécimens d'œuvres les plus variées, et il ne semble pas qu'il y ait en ce domaine une seule gravure qui ne soit expressément consacrée à la glorification de Sa Majesté le cheval. Dans le décor des meubles légers et des étoffes claires, la bibliothèque Badmington éparpille un peu partout les trésors de sa collection sportive : manuels d'équitation, de chasse, de tennis ; çà et là, sur toutes les tables, des journaux mondains, des revues anglaises : the Century, the World's Life, Harper's Magazine, Graphic, Land and Water, the Field, Illustrated Sporting and Dramatic News, Times, New York Herald... On se sent ici plus près de Ramsgate que de Suresnes ! (…)''


Jeu de polo, coup de l'avant-main - Jeanniot

Les parties de polo se jouent alors à Bagatelle cinq fois par semaine : le lundi et le vendredi de dix heures à midi ; le mardi, le jeudi et le samedi, dans l'après-midi. A l'extrémité de la grande pelouse se trouve une piste qui est ouverte tous les jours comme terrain d'exercices, mais sur laquelle aucune partie n'est engagée.


La saison de polo dure quatre mois. En avril et mai, les parties de l'après-midi débutent à seize heures trente et s'achèvent à dix-neuf heures trente. En juin et juillet, on joue de dix- sept heures à vingt heures. Une demi-heure environ avant le début de la partie les oriflammes aux couleurs du Polo de Paris - une large bande écarlate bordée de bleu, sur fond rose - flottent aux poteaux du marquoir et sur la toiture du pavillon. De victorias, de buggys et de mails alignés du côté de Longchamp sortent les spectateurs, élégants et distingués. Les joueurs se sont fait inscrire, mais sans pouvoir choisir ni leur camp, ni la partie dans laquelle ils figureront, ni leurs partenaires ou adversaires. Tout ceci est à la discrétion du semainier, désigné tous les huit jours par le Comité, et à qui incombe la délicate mission de faire le team, c'est à dire de constituer les deux camps en tenant compte des aptitudes et des conditions physiques de chaque joueur.


"Le charme délicat d'un petit coin de campagne à deux pas du coeur de la capitale"

Dans la revue de la Belle époque Le Miroir du Monde, le comte de Bondy, l'un des premiers témoins du Bagatelle d'antan, s'exprime en des termes enthousiastes : « Le polo est attrayant autant par la vision qu'il offre que par l'atmosphère qu'il crée. Comme spectacle, il donne un fougueux enchevêtrement de lignes brisées, qui plaît par son contraste avec les éternelles lignes courbes du décor. Ici, il y a un séisme de cavaliers et de chevaux, de tels élans hachés que les encolures ont l'air dévissées, qu'on ne sait si la tête d'un joueur n'appartient pas au torse d'un autre. Aux tables, tamisées par la pénombre légère des ombrelles, ce ne sont que femmes- fleurs qui, douces (au moins en apparence), sourient de loin aux violents qui ne les voient pas mais savent qu'elles les regardent. Et pour chacun des deux royaumes, il semble que l'autre soit la Terre promise. Sœurs, cousines, épouses, épouses des autres surtout...''


Le 15 avril 1893, le Cercle était définitivement constitué, et la première saison du Polo parisien débutait. En juin, on invita des joueurs du 17ème Lanciers de Rugby. L'ambiance fut remarquable, et les invités fort bien accueillis et logés au Polo. Les joueurs français, encore débutants, ne brillèrent pas face à leurs aînés britanniques. Mais qu'importe, ainsi le Polo de Paris affirmait-il son existence. Désormais, il ne serait plus permis aux joueurs d'outre-Manche d'en ignorer le chemin.


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